L’ancien joueur emblématique de France 7, Terry Bouhraoua, s’est installé au Mexique depuis un mois. Sa nouvelle mission ? Directeur technique des équipes nationales mexicaines de rugby à sept. Une aventure qui se veut aussi bien professionnelle que personnelle (crédit photo : World Rugby).

Terry, comment est né ce projet au Mexique ?

Terry Bouhraoua : Il y a dix ans, j’ai rencontré l’ancien président de la fédération à Hong Kong. On a discuté et on est devenu amis. Quand j’ai arrêté de jouer, je connaissais déjà la situation du rugby mexicain et je savais qu’ils avaient le désir de se développer. Donc quand j’ai mis fin à ma carrière, on en a discuté sérieusement. J’ai vécu une situation un peu compliquée donc ils m’ont laissé le temps de me refaire physiquement et mentalement. Et quand j’ai été prêt, j’ai dit : « Allez, on y va !»

Quelle est cette situation compliquée dont tu parles ?

TB : C’est la dépression. Un peu celle du sportif et beaucoup de l’être humain. Celle qui nous guette tous. Celle qui, en fonction de nos sensibilités, de nos moments de vie, se déclare de manière plus ou moins forte. Personne n’est à l’abri malheureusement. Ça a duré deux ans, depuis que j’ai arrêté l’équipe de France. Au début, tu ne te rends pas compte, tu essayes de jouer à droite et à gauche pour essayer de combler le manque. J’ai eu aussi des soucis dans ma vie sentimentale. Donc ça, plus ça, plus ça, pour un être humain sensible comme je suis, c’était un peu trop. Peut-être que j’étais destiné à passer par là pour pouvoir attaquer un nouveau chapitre. Comme s’il fallait que tout s’effondre pour reconstruire quelque chose d’autre.

Dans le message posté sur tes réseaux pour annoncer cette nouvelle aventure mexicaine, tu as confié ton « envie de partir pour ne plus revenir ». Comment as-tu réussi à surmonter cette période ?

TB : Le pire, c’est de perdre le sens de sa vie et moi, c’était le rugby qui donnait du sens à la mienne. Tu sais que ça va s’arrêter un jour mais t’es pas tout à fait conscient que c’est le sens de ta vie qui va s’arrêter. Quand tu es joueur de rugby pendant 17 ans, tu vis dans ton espèce de monde avec ses codes et ses privilèges. Et du jour au lendemain, tu te retrouves dans ce que j’appelle la vie normale. Sauf que moi la vie normale, j’en n’avais pas les codes et la vérité c’est que, par rapport à ce que j’avais vécu, elle ne me faisait pas rêver. Au bout du compte, j’étais prêt à partir parce que je considérais que j’avais déjà vécu ma meilleure vie. Tout ce dont j’avais rêvé je l’avais eu et même plus que ce que j’avais imaginé. Je me suis retrouvé dans le noir, au milieu de nulle part et je me suis dit, ça ne sert à rien de continuer. Heureusement, j’ai manqué de courage. J’ai aussi eu la chance d’avoir une famille et des amis qui m’ont accompagné et à qui je n’ai pas eu peur d’en parler.

Ce projet au Mexique est donc une véritable bouée de sauvetage ?

TB : Franchement, la Fédération mexicaine m’offre un bout de lumière. Comme je l’ai écrit, ce projet c’est la lumière au bout du tunnel. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, personne ne peut savoir. En tout cas, aujourd’hui, j’essaie aussi de fonctionner différemment et d’apprendre de mes erreurs. Je suis content d’être là, j’espère rester le plus longtemps possible parce que le projet me plait. Je fais mon travail de mon côté. Je suis dans une période où j’ai le temps d’analyser. On est dans un cycle un peu plus rugby. On a les Jeux Centraméricains et Caribéens en mai et ensuite on a les Jeux Panaméricains en octobre. Je suis arrivé en tant que directeur technique et mon idée n’est pas de changer tout le monde. Jusqu’en octobre, j’observe et j’analyse. Je participe aussi aux séances terrain parce que, si je suis là, c’est pour apporter quelque chose.

Quels sont les objectifs fixés dans ces compétitions et à plus long terme ?

TB : Nous voulons participer aux tournois de repêchage pour les Jeux Olympiques et la Coupe du monde. Mais de là à se dire qu’on veut se qualifier… Si on arrive à aller jouer les Challenger Series, ce serait déjà beau. Ensuite, on a les jeux centraméricains et les jeux panaméricains qui sont importants pour nous et qui sont plus à notre portée. On a des objectifs de titre à l’échelon régional mais à l’international, on veut juste croquer au maximum.

Pour nous qui ne connaissons pas le rugby mexicain, quelle est la situation du Sevens là-bas ?

TB : Déjà, il y a quelque chose en place, on ne part pas de zéro. Cela étant, on a des limites. Au Mexique, le rugby commence tard. Ce n’est pas dans la culture. Ça ne fonctionne pas comme en France avec les écoles de rugby. Quand je leur dis que j’ai commencé le rugby à 6 ans, ils me disent : « Mais t’étais qu’un bébé ! ». Le problème c’est que quand tu commences à 15 ans, tu ne peux pas être talentueux à 20 ans. Il n’y a pas de véritable formation donc tu te retrouves avec des gens en équipe nationale qui n’ont pas les bases. J’ai des filles en sélection qui n’ont pas de club. Elles vivent à deux heures de voiture du club le plus proche et leurs parents ne les laissent pas aller à l’entraînement à 22h le soir car cela peut être dangereux pour elles. Mais je pense qu’on peut faire évoluer les choses. Cela fait partie de ma mission d’aller former les entraîneurs dans les différents états du Mexique. Ça va être intéressant et le but du jeu, c’est de partager. Plus je vais partager et mieux ce sera.

Au-delà du développement sportif, l’aventure humaine est au coeur de ton projet ?

TB : Tout à fait. Ce qui me plaît aussi, c’est que je suis à un endroit où on a besoin de mon expertise. J’aime bien avoir ce sentiment d’utilité. J’ai envie d’être là, d’être en action, de faire les choses et d’apporter. Effectivement, l’aventure humaine, c’est le centre de mon projet. Quand tu arrêtes, ce dont tu te rappelles, ce sont les moments que tu as vécu. Ça, personne ne pourra me le prendre. C’est ça que j’ai envie de transmettre aux joueurs. Le rugby est un prétexte pour vivre des émotions.