Dix jours après avoir reçu le titre de « Joueuse de rugby à sept de l’année 2021 » aux World Rugby Awards, Anne-Cécile Ciofani s’est confiée sur cette distinction décernée pour la première fois à une française. La joueuse de France 7 est également revenue sur le début des World Series avec un groupe remanié mais déjà bien connecté sur le terrain. (Crédit photo : World Rugby)

Félicitations pour ce titre, comment te sens-tu ?

Anne-Cécile Ciofani : Ça va nickel. On a repris l’entraînement assez vite donc j’ai rapidement remis les pieds sur terre après avoir passé quelques jours à flotter sur mon petit nuage. J’ai reçu énormément de messages de félicitations et franchement, c’est bizarre, mais je ne réalise toujours pas. J’ai l’impression que ce n’est pas vrai (elle rigole). Je suis très heureuse.

Qu’est ce que cela représente pour toi et France 7 Féminin ?

ACC : Les deux sont évidemment liés. Pour moi, c’est l’aboutissement et même plus parce que je ne pensais pas pouvoir faire mieux que la médaille d’argent aux Jeux Olympiques. Cela vient valoriser la médaille et le travail réalisé tout au long de l’année. C’est une énorme fierté pour moi de représenter mon pays et mon équipe. C’est quelque chose de fou parce que… Non seulement c’est la première fois qu’une française le remporte mais en plus, cela met un petit peu un terme aux sacres des Néo-Zélandaises, des Australiennes et je passe également devant les Fidjiennes qui ont fait un tournoi olympique exceptionnel. Cette récompense est complètement à l’image de la prestation de l’équipe dans sa globalité pendant les Jeux.

France 7 Féminin a franchi un cap depuis l’année 2018 (médaille d’argent au Mondial et de bronze sur les World Series), on a l’impression que ce titre vous encourage à aller encore plus haut…

ACC : Oui, c’est exactement ça. La saison 2018 a été presque parfaite entre la deuxième place à la Coupe du monde et la troisième sur le Circuit mondial. L’année d’après sur les World Series, on a fini cinquièmes avec des passages compliqués où les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Ensuite, on aurait pu passer une année difficile à cause du COVID mais on a eu une belle remobilisation et on ne s’est pas reposée sur nos acquis (quatrièmes des World Series en 2020). On arrive à répondre quasiment toujours présentes sur les grands évènements car ces moments nous ont permis de retirer des leçons et de monter en puissance jusqu’à cette énorme récompense.

La France est aujourd’hui dans le top 3 mondial avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie, même si les Fidji poussent fort derrière, vous semblez y être bien installées, vous réalisez tout le chemin parcouru et le niveau atteint par l’équipe ?

ACC : On sait qu’on progresse car c’est ce que l’on cherche. On veut augmenter notre niveau pour suivre celui du World Series et en même temps aider à ce qu’il continue de grimper. Comme nous sommes prises dans l’engrenage de l’entraînement, on ne s’en rend pas vraiment compte au jour le jour mais quand on fait le bilan à chaque fin de match ou de tournoi, on voit que l’on reproduit moins voir plus du tout certaines erreurs. On s’entraîne vraiment très très dur, on a un préparateur physique qui met un point d’honneur à nous faire souffrir à chaque séance avec l’appui des entraîneurs (elle rigole). Le staff joue forcément un rôle énorme là-dedans et nous les filles, on a une exigence envers nous-mêmes qui fait que cela concorde plutôt bien entre les deux. On s’entraîne pour ça mais on s’en rend compte une fois que c’est passé et on se dit : ah ouais, en effet, le niveau qu’on a atteint, c’est du lourd.

À titre individuel, tu as été la meilleure marqueuse française à Tokyo, comment tu te sens sur le terrain ?

ACC : À titre personnel, je suis pleinement épanouie dans ce groupe, surexcitée de donner le meilleur et confiante sur ce que l’on peut produire. Je n’étais pas du tout certaine qu’on allait finir sur le podium olympique mais j’avais entièrement confiance en cette équipe et c’est ce qui m’a permis de marquer autant d’essais.

Avec sept essais marqués, Anne-Cécile Ciofani a été la deuxième meilleure marqueuse du tournoi olympique derrière la fidjienne Reapi Ulunisau et ses 8 essais. (Crédit photo : World Rugby)
Et maintenant, quels sont les objectifs collectifs que vous vous êtes fixés pour ce nouveau cycle qui vient de démarrer ?

ACC : On n’en n’a pas parlé formellement dans une réunion mais entre nous, on se dit qu’on peut finir sur le podium, on le sait. Maintenant, être sur le podium à la fin et gagner une étape des World Series, ce sont deux choses différentes. On ne l’a encore jamais fait et on se dit que si on arrive à en gagner une, ce sera un message très fort que l’on enverra aux autres équipes pour leur prouver qu’on n’a pas volé nos médailles. Même si on n’a pas toujours été constantes sur les World Series passés, quand on est présentes sur les grands rendez-vous, ce n’est pas de la chance. Et ce serait d’autant plus formateur de gagner un tournoi pour préparer la Coupe du monde.

Les World Series ont repris à Dubaï au début du mois de décembre. À ce moment-là, David Courteix nous avait confié que vous n’étiez pas prêtes car il y avait eu beaucoup de repos, nécessaire après la médaille, mais peu d’entraînements en commun, comment as-tu vécu cette reprise du Circuit mondial ?

ACC : Je faisais partie de ces filles qui ont repris très tardivement donc j’étais déjà très contente de partir à Dubaï car physiquement, je n’étais absolument pas prête. Je n’avais pas fait assez d’entraînements collectifs pour partir selon moi. Après une discussion avec David, on s’est mis d’accord pour que j’intègre le groupe afin qu’il y ait des cadres dans l’équipe. Les filles étaient prêtes individuellement car cela faisait des semaines qu’elles s’entraînaient et elles avaient joué sur les matchs amicaux. C’est collectivement où cela manquait car il y a eu beaucoup de rotations sur ces tournois de préparation avec des jeunes qui ont intégré l’effectif. Et là, on s’est retrouvé avec une majorité de filles sous contrat mais un groupe tout de même remanié par rapport à d’habitude. Je me suis dit : punaise, il y a des filles qui n’ont jamais fait de World Series, il manque des habituées de ces tournois, comment ça va se passer ? Et pourtant, à aucun moment j’ai douté de la performance de chacune des filles parce que je connais parfaitement leurs qualités et leurs défauts. Mais c’est vrai que je me suis demandé si ça allait matcher et si nous allions arriver à nous connecter les unes aux autres. La première journée du premier tournoi de Dubaï a été très compliquée. On avait pris le temps d’en parler avec le staff à la fin de ce premier jour et on étaient repartis encore plus déterminées sur le deuxième où ça a roulé. Comme quoi, il faut juste un peu de confiance et d’expérience aux filles. Le deuxième tournoi a été beaucoup plus simple. Cela n’a pas été une surprise de finir troisièmes mais cela a été un soulagement de faire un résultat.

Cette connexion dont tu parles semble déjà avoir opéré sur le deuxième tournoi de Dubaï, c’est ce que votre coach vous avait dit à l’issue du match de poule face à l’Irlande, chaque membre du groupe avait mis son égo de côté pour le bien être du collectif, c’est l’une de vos forces. Comment l’as-tu ressenti ?

ACC : Oui, ça c’est super important. Le staff a réussi à nous amener vers ce genre de comportements. On est un groupe de filles qui vivons clairement les unes sur les autres donc si on ne se dit pas les choses, ça ne peut pas marcher. On essaie de faire en sorte qu’un match ne repose pas uniquement sur certaines individualités. Par exemple, à Dubaï, on a fait en sorte que le ballon ne passe pas tout le temps par les filles qui ont fait les Jeux. On essaie que chaque fille se sente à sa place. Ce n’est pas parce qu’une joueuse a marqué plein d’essais ou fait des plaquages énormes aux Jeux que c’est elle qui va sauver un match. Cela ne marche pas comme ça, chaque fille a ses qualités et doit les mettre à profit pour le collectif. Et les filles qui ont des défauts, il y a toujours une coéquipière qui est capable d’aller lui dire pour qu’elle le corrige. Des fois il y a du répondant en face mais même si ça pète, on est capable d’échanger ensuite calmement, de s’excuser s’il y a eu un mot plus haut que l’autre et de mettre un point final à la discussion. C’est vrai que c’est une force mais d’un autre côté, je pense que c’est indispensable pour un groupe qui vit autant ensemble.

C’est quelque chose qui tient beaucoup à David Courteix, qui est-il pour toi et ce groupe car on a l’impression qu’il a plusieurs casquettes ?

ACC : Oui, il a plusieurs rôles car c’est quelqu’un qui est très ouvert à la discussion, qui aime énormément parler et débattre. C’est un grand passionné de tout. Cela dépend des affinités mais je sais que c’est quelqu’un à qui je peux me confier, il est très humain donc dès qu’il y a un souci personnel qui nous prend un peu trop d’énergie mentale, il sera capable de l’entendre, de nous épauler et de trouver les mots justes pour qu’on se sente mieux ou de nous aiguiller vers la meilleure solution selon lui. Ça dépend donc des jours, des humeurs aussi. Parfois, il me fait beaucoup penser à mon père donc il a un rôle de papa et puis on rigole avec lui comme avec un grand-frère. Puis quand il est très énervé, tu te dis que là c’est le coach (elle rigole). Il peut aussi passer pour un grand philosophe, c’est marrant. Cela dépend du jour ou de la discussion, il redevient assez rapidement un entraîneur avec qui tu peux parler de pas mal de choses. Franchement, pour supporter 24 nanas comme ça au quotidien, des sujets il en a à revendre avec nous.

Les Bleues réunies en cercle après la défaite face aux États-Unis en poule lors du premier tournoi de Dubaï. (Crédit photo : World Rugby)
Pour revenir sur Dubaï, en terme de rugby, qu’est-ce que vous avez ressorti de ces deux premières étapes des World Series ?

ACC : Il y a un gros point physique sur lequel il va falloir travailler. Après, niveau rugby, nous devons perfectionner quelques lancements et gagner en précision. On va avoir énormément de travail aussi en vidéo parce que tous les matchs qu’on perd, cela se joue à rien. On s’est retrouvée face à l’Australie ou encore les Fidji qui ont été plus fortes que nous sur ces matchs mais de pas grand chose en réalité. On avait tellement l’envie de gagner sur le terrain que le rugby avait suivi mais quand tu affrontes ces équipes qui maîtrisent plus, tu te retrouves avec un essai de différence qui ne te permet pas de passer. Je pense que c’est essentiellement cet aspect que l’on va travailler avec le physique également. Beaucoup beaucoup de vidéos car finalement sur le rugby, on n’a pas grand chose à dire sur Dubaï. On a tellement progressé qu’on travaille sur le détail et tout ce que l’on peut perfectionner : des lancements, des enchaînements de passes ou encore améliorer le jeu dans les couloirs. Il manque aussi de l’expérience. Pas mal de filles ont intégré le groupe et n’ont pas énormément joué sur les deux dernières années à cause de la situation sanitaire, c’était leur première pour certaine. Mais franchement, elles s’en sont tellement bien sorties que tu te dis qu’on est prêtes. On a juste à trouver une meilleure connexion collective et mieux travailler sur les équipes que l’on aura en face.

La prochaine étape sera en Espagne à Malaga avec un retour au format « normal » des World Series et donc de la Nouvelle-Zélande, comment abordez-vous la suite de la saison ?

ACC : On a hâte et on s’y prépare de la meilleure des manières. On le pense et on fait entièrement confiance au staff. C’est aussi à chacune de nous de se responsabiliser en travaillant en amont chez soi notamment sur la vidéo. En tout cas, on met tout en place pour performer en Espagne. Même si l’objectif final reste la Coupe du monde, celui à court terme serait de gagner un tournoi des World Series.