Entretien avec l’entraîneur de France 7 Féminin avant la reprise de son équipe à Langford, suite à une longue préparation depuis les tournois espagnols.

L’heure de la reprise

David Courteix : On avait prévu de faire du retour de la tournée espagnole notre véritable intersaison. Les Jeux olympiques et nos choix variés nous en ayant privé. On a ainsi repris par un stage à Marcoussis, avec des charges de travail importantes, notamment en termes de course, de déplacement et d’intensité. Pour la première fois depuis 12 ou 13 ans, on a un peu mis le rugby de côté. Après une semaine de pause, nous avons ensuite enchaîné par deux semaines de stage à Soustons avec des équipes étrangères, où nous avons pour le coup beaucoup joué et avec de l’opposition. Puis nous avons terminé par un dernier stage à Falgos lors duquel nous avons fait aussi beaucoup d’entraînements rugby, notamment avec les U18 garçons qui sont venus nous prêter main forte. Là aussi avec une charge courue et combattue importante. On s’est donnés du luxe que l’on n’avait pas pu ou pas voulu avoir en début de saison. Nous serons donc bien plus prêts que lorsque nous avons réattaqué en octobre. Désormais, il vaut le vérifier par le biais de la compétition. Car je le dis souvent, ce que l’on fait, les autres ne veulent pas qu’on le fasse. On verra donc qui va arriver à imposer sa philosophie et sa façon de faire.

Bilan espagnol

DC : En toute transparence, il fallait se refaire un fond de caisse. C’était plutôt pas mal en Espagne, mais du point de vue physique, le 7 est exigeant. Et notre façon de concevoir les choses le rend encore plus exigeant ! Cette volonté d’oppresser défensivement, de priver d’initiative l’équipe adverse, c’est coûteux ! En termes d’accélération et de décélération, il faut être prêt à assumer ce genre d’efforts. Donc c’est comme tout, c’est une préparation. C’était aussi l’occasion de se remettre au clair sur les principes qui font que cela fonctionne et que notre jeu est fluide. Mais également les petits efforts, souvent invisibles, que l’on fait les uns pour les autres. Qui font que l’équipe tourne ou qu’à l’inverse elle peut être moins en place, laisser un peu plus d’espace, un peu plus du temps au soutien, être un peu moins précise sur sa façon de bouger autour du ballon, être un peu plus lente dans sa capacité à se démarquer et à déplacer le ballon. Ce n’est pas toujours perceptible pour ceux qui ne sont pas à l’entraînement tous les jours avec nous, mais c’est ce qui fait la différence. 

Je pense que l’on a fait un peu au talent et à l’expérience en Espagne, mais ça manquait de fraîcheur. Il y a eu du courage, de l’abnégation, de la bravoure, même une forme d’intelligence dans la capacité à ruser, ce qui est à noter ! Mais dans la durée et dans la volonté d’être performants, on ne peut pas rester sur ce type de pari. Ce qui explique le rendu un peu moins achevé en Espagne et le sentiment d’un moins grand enthousiasme et d’une moins grande fluidité. D’où le fait de repartir au boulot, de mettre un coup de polish sur les choses qui s’étaient irritées et d’apporter également de nouvelles idées dans le jeu ! Car on ne peut pas continuer à jouer toujours de la même façon. Tout d’abord, car c’est nourrissant pour un groupe de faire évoluer la façon dont il a envie de jouer. Et puis aujourd’hui avec les outils modernes, la vidéo, les statistiques, si tu restes indéfiniment sur ce que tu fais, tu finis par être connu de tous et ton degré d’imprévisibilité, indispensable pour te créer des situations offensives ou défensives favorables, va lui disparaître. Les nouvelles évolutions semblent donc être, en tout cas à l’entraînement, comprises et reçues par toutes et tous. Il ne reste plus qu’à le passer à la moulinette de l’adversaire.

Préparation canadienne

DC : On ne l’a pas fait exprès, mais à Falgos, nous avons eu deux jours en pleines conditions hivernales et trois jours en conditions estivales. Autant la chaleur est dure parfois à prendre en compte, autant pour Langford, on est sur un climat qui reste tempéré. Certes les World Series se jouent souvent en conditions plutôt estivales, mais pour cette fois, cela va être comme si on était à Marcoussis. Les filles y seront donc plutôt préparées. Je ne nous sens pas en difficulté, et le groupe est devenu très adaptable par rapport à ça. Et forcément, lorsqu’il y a de la pluie ou du vent, nous adaptons notre jeu. L’investissement défensif et la capacité à contrer sont des choses sur lesquelles il faut s’appuyer, les coups d’envoi et le jeu au pied demandent aussi de l’adaptation, il faut également être un peu moins gourmand en terme de jeu sur l’utilisation des espaces. Cela fait partie de la capacité d’adaptation d’une équipe. 

Pour le décalage horaire, quand on en a les moyens, on essaye de venir un peu avant lorsqu’il y en a des importants comme celui-là. Cela nous permet d’avoir deux jours pour nous recaler un peu plus. C’est quand même agréable sur le plan de la disponibilité mentale et cela nous donne un peu de confort en termes de récupération du sommeil. Même si je me rends compte qu’à la longue, on est de plus en plus facile là-dessus. On a réussi à s’entraîner dès dimanche après-midi alors que nous sommes arrivés vendredi.

Les objectifs de Langford

DC : Maintenant que nous avons une équipe compétitive sur le plan mondial, bien sûr que nous avons toujours en tête l’idée de gagner. Mais ça ne sert à rien de le crier sur tous les toits, et de dire que l’on va le faire. Sinon, toutes les équipes le feraient. Nous avons surtout un jeu qui nous permet de vivre aujourd’hui de bons moments ensemble, des discussions franches sur le rugby et le reste, un groupe animé qui n’a pas peur de se dire les choses. On y va donc pour donner le meilleur de nous-mêmes. Si on joue bien, que l’on fait les choses ensemble, que les efforts sont mis bout à bout, que l’on met la même détermination qu’à l’entraînement, il se peut que si l’on arrive à mettre tout en ordre, l’on ait un gros coup à jouer à la fin pour la victoire. Maintenant, je ne suis pas d’accord avec les gens qui disent que dans le rugby à 7 féminin, il y a deux niveaux. Il y a certes des équipes qui sont un peu en-dessous aujourd’hui, mais plus sur la régularité. Sur un match, elles peuvent accrocher tout le monde. Et ensuite, il y a plusieurs équipes qui peuvent battre n’importe qui.

L’Australie dans le viseur et « come-back » des Néo-Zélandaises

DC : On verra ce que donne le tournoi de Langford…Si nous faisons une grosse performance et que l’Australie, ce que je ne leur souhaite pas bien évidemment, réalise un tournoi plus compliqué, puis qu’à Toulouse nous menons à bien notre tournoi et que avons l’opportunité de gagner, on le fera. Mais aujourd’hui, la seule réponse que je peux donner c’est : soyons très bonnes sur le terrain, soyons fortes au rugby, cherchons à imposer notre façon à nous de vouloir jouer, et si on gagne, on aura forcément repris quelques points à l’Australie. Mais aujourd’hui, l’Australie a tout de même pas mal de points d’avance (ndlr : 18 points séparent les deux sélections aujourd’hui). C’est une équipe constante, complète, qui compte beaucoup de bonnes joueuses, qui possède un jeu très aéré, très porté sur l’espace et qui est difficile à contrer. Elle possède aussi une capacité à faire courir le ballon de main en main à grande vitesse, avec une très bonne utilisation de la distance, venant du fait que certaines d’entre elles arrivent du Touch Rugby. L’Australie fera donc son parcours et on prendra ce qu’il y a à prendre.

Le retour des Néo-Zélandaises ? Bien sûr que l’on est contents. La compétition vaut le coup, car il y a de grandes équipes, et que gagner, c’est difficile. Les Néo-Zélandaises sont parmi les meilleures aujourd’hui et c’est hyper motivant de pouvoir les jouer. C’est à ce titre-là que l’on se prépare dur, car l’on sait qu’en face ça joue bien au ballon. Et c’est tout l’intérêt de la compétition. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de revoir aujourd’hui la Nouvelle-Zélande ou les Fidji qui font partie des meilleures équipes au monde.

La traditionnelle photo des capitaines avant le Langford Sevens 2022. (Crédit photo : World Rugby)

La composition du groupe tricolore

DC : On n’oublie jamais les absentes, mais on se concentre très vite sur les présentes ! (il rigole) Quand on a la chance d’avoir en France un groupe large et de nombreuses joueuses de talent, on ne vit pas comme une catastrophe d’avoir quelques sélectionnées avec le XV. Ce qui est une bonne nouvelle ! Le fait de voir Caroline Drouin et Chloé Jacquet disputer le Grand Chelem après ce qu’on fait les garçons, c’est une même une très bonne nouvelle ! Et comme ce sont des bonnes joueuses et qu’elles sont souvent retenues dans le groupe, cela laisse l’opportunité à d’autres de goûter à la compétition, de s’exprimer, et d’affirmer leurs compétences. Et puis, une belle sélection, c’est avant tout la somme d’individus complémentaires. Il faut que l’ensemble des profils soit couvert et que l’ensemble des ressources soit assuré. Que la façon de marier les initiatives amène à ce que la recette prenne bien. Il y a certaines joueuses de très haut niveau qui sont restées en France parce qu’il faut faire des choix, mais ça fait aussi partie de la vie d’un groupe. Je pense que pour Langford, nous avons un groupe très équilibré. Et une belle équipe, ce n’est pas forcément l’accumulation de compétences exceptionnelles mises bout à bout. C’est plutôt une somme de compétences complémentaires.

Pour Marie Dupouy (ndlr : première expérience en World Series), c’est une sélection qui peut surprendre de l’extérieur, mais elle est venue régulièrement faire des piges pendant la période COVID. C’est une vraie joueuse d’espace et d’intervalle qui a un vrai sens de l’enclenchement et des espaces. Elle me rappelle un peu Fanny Horta par moment. Une vraie rigueur défensive également et une grande capacité à être hyperactive sur le terrain. Elle apprend très vite et c’était l’occasion, de un d’équilibrer le groupe, et ensuite de pouvoir la lancer dans le grand bain pour qu’elle s’approprie très vite les petites ficelles du haut niveau. C’est quelqu’un qui, dans la façon dont nous voulons jouer, peut nous apporter un petit plus et va être capable d’être très à l’aise. Elle connaît d’ailleurs déjà le haut niveau, puisqu’elle est apparue avec le XV Féminin. Des joueuses comme Marie sont des filles qui sont passées par la filière de haut niveau. Ce sont des bosseuses, elles sont impliquées, sont beaucoup dans l’adaptation, savent prendre la mesure d’un groupe, y rentrer doucement et faire valoir leur point de vue. Il y a beaucoup de compétences dans ces personnes qui arrivent. Les clubs se structurent aujourd’hui et accompagnent mieux les joueuses au quotidien. Cela devient donc de plus en plus facile de les intégrer. Des jeunes qui arrivent comme Marie ou Chloé (Jacquet) n’auront donc pas trop de difficultés à intégrer le haut niveau. Le défi sera pour elles de s’y installer et d’y rester. Car cela demande une exigence et une envie au quotidien qui n’est pas donnée à tout le monde. 

L’Irlande, principal adversaire des Françaises dans la poule B ? (Crédit photo : World Rugby)
Le Brésil, nation en devenir. (Crédit photo : World Rugby)
Le Japon, l’équipe dont il faudra se méfier. (Crédit photo : World Rugby)

La poule des Bleues

DC : L’Irlande était finaliste à Séville. C’est l’un de nos meilleurs ennemis. C’est une équipe avec laquelle on travaille énormément depuis plusieurs années et qui sait parfaitement comment nous ennuyer. Ce que nous lui rendons bien ! Malgré tout, cela reste toujours des matchs accrochés… C’est une équipe qui est très portée sur la prise de la ligne d’avantage et la volonté de vous mettre sur les talons avant de vous attaquer. C’est donc très difficile, surtout quand elles ont beaucoup le ballon. Il faut ainsi savoir des fois oublier les espaces et les surnombres pour les presser fort défensivement et parfois, savoir aussi les gérer. C’est également une équipe capable de bouger vite le ballon, il faut donc être capable de contester les rucks, sans y laisser trop de plumes. 

Pour le Brésil, c’est une équipe avec laquelle on commence à travailler un peu. Qui possède beaucoup de talents et qui est en devenir. Parfois minée par l’émotion, parfois transcendée par l’émotion ! On a les armes pour les mettre en difficulté, mais il ne faut pas oublier les matchs où elles nous ont mis aussi en difficulté ! Je repense à celui de Dubaï gagné cette année, c’est très bien joué de notre part, mais c’est très opportuniste. On l’emporte plus par le talent que par la maîtrise collective. Cela reste une équipe batailleuse, hargneuse, solidaire et qui dans un bon jour peut réussir à faire du large-large de qualité, dans lequel de nouveau il faut être capable de s’éviter des courses en allant presser, en étant capable de réavancer le plus rapidement possible, en oppressant, en fermant les extérieurs par moment. C’est une équipe qui est bien organisée, qui sait jouer au pied, qui est variée et qui sait jouer aussi sur les petites ficelles en mêlée. 

Et puis le Japon, on le dit souvent, il ne lui manque que quelques petites choses pour être parmi les meilleurs. Mais du strict point de vue de la qualité de jeu et de leur capacité à déplacer le ballon, de jouer ensemble, d’utiliser les espaces et de jouer sur tous les petits points faibles de l’adversaire, franchement c’est une équipe de très haut niveau mondial. Elles savent admirablement taper là où ça fait mal, mais elles possèdent des difficultés en conquête et sur les phases de contact. Ce sont des équipes que l’on joue souvent de façon très directe, avec la volonté de les mettre sur le reculoir avant tout. Mais cela doit être de fait de manière très intelligente, avec des connexions très fines lorsque l’on est en attaque, car elles sont très rapides sur les contests. Cela peut être très perturbant. Il faut donc rester calme et pragmatique. Cela va être le challenge pour nous. Aujourd’hui, ce n’est peut-être pas la poule la plus relevée sur le papier, mais un match ne se gagne pas en faisant des raisonnements, il se gagne sur le terrain. 

Projection sur le France Sevens

DC : On va couper très peu de temps. On va rentrer le mardi et on réattaquera dès le lundi suivant, car on aura la chance d’avoir au CNR de Marcoussis le Brésil, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les Fidji (ndlr : qui vont rester jusqu’au France Sevens). On va donc regarder cette semaine comment nous pouvons organiser quelque chose ensemble. Si on veut que le 7 avance, on a aujourd’hui tout intérêt, au-delà de l’affrontement sur le terrain, à rester des partenaires efficaces et complices dès lors que l’on est en dehors.