Saimone Qeleca a crevé l’écran le week-end dernier à Toulouse, participant en grande partie au succès historique de Monaco dans ce Supersevens (Crédits photos : MonacoRugby7s).

Samedi 21 août, le Monaco Rugby Sevens remportait pour la première fois un tournoi du Supersevens en s’imposant face aux Barbarians en finale. Emmenés par ses Johan Demai-Hamecher, Cécil Afrika, Levi Milford ou encore Gaspard Lalli, tous très en vue dans ce tournoi, les Monégasques sont montés en puissance tout au long de la compétition, jusqu’à en décrocher le Graal. Mais parmi les joueurs composant cet effectif, l’un d’entre eux a particulièrement attiré les projecteurs : Saimone Qeleca. Il y a encore quelques semaines, personne ne connaissait son nom. Aujourd’hui, il fait le tour des réseaux sociaux. Auteur de 4 essais, le Fidjien fut l’une des révélations de l’étape toulousaine. Quitte à être salué pour sa performance personnelle par Frédéric Michalak lui-même. Qui doit bien être content d’avoir déniché cette pépite. Un joueur au parcours déjà très étonnant…

L’ascension

C’est en 2019 que Saimone Qeleca pose ses valises en France. Arrivé des îles Fidji avec John, un ami à lui, suite à un partenariat entre le club de Dignes (évoluant alors en Honneur du côté des Alpes-Maritimes) et l’équipe de rugby de Yamacia basée dans le Pacifique. « C’est une structure religieuse dirigée par un pasteur qui est aussi entraîneur de rugby et qui essaye de récupérer des jeunes en difficulté pour éviter qu’ils finissent dans l’alcool et la drogue “, nous explique Mathieu Selmi-Etienne, président des South Sevens avec qui Saimone a évolué à 7 durant l’été.  » Ils tentent de leur donner un cadre d’éducation et de vie basé autour du rugby essentiellement. Concernant le club de Digne, ils leur envoient chaque année 2 ou 3 joueurs fidjiens pour qu’il y ait un double enjeu : que ces derniers aident le club de Digne sportivement et qu’en même temps le RC Digne leur trouve un travail. Derrière, l’objectif est également de les aider à se trouver une voie professionnelle dans le rugby. » Malheureusement, la crise sanitaire mondiale a bloqué leur ascension. Pas de journée de détection possible, une saison de rugby à XV arrêtée, les tournois de rugby à 7 annulés, difficile de se mettre en valeur. Malgré tout, ils ont tout de même réussi en un laps de temps à attirer quelques regards, dont celui de Mathieu :  « Je suis allé voir quelques premiers matchs et j’ai rapidement remarqué les qualités des deux joueurs. J’ai demandé au président de Digne, avec qui nous sommes en partenariat, si je pouvais les avoir pour le 7 et il m’a dit qu’il n’y avait pas de soucis, tant que Digne n’avait pas de match en même temps que les tournois. Ils ont donc commencé à venir aux entraînements régulièrement et c’était même nos joueurs les plus assidus, puisqu’ils n’ont raté aucun entraînement jusqu’à mars 2020. »

Finalement, Saimone et John ont décidé de rester en France pour prolonger leur aventure durant la saison 2020-2021. Une nouvelle saison arrêtée, mais des tournois de sevens qui ont finalement eu lieu à partir du mois de juin. L’occasion rêvée pour ces spécialistes de la discipline : « Pour la saison 2020/2021, saison arrêtée également, mais on a tout de même pu continuer nos entraînements à toucher. Même si l’on voyait qu’ils avaient des qualités, on attendait qu’une chose, c’était de les voir sur grand terrain à plaquer. Sachant que son entraîneur aux Fidji nous disait que Saimone n’était pas forcément très grand, mais qu’il avait des qualités individuelles très intéressantes, quitte à en parler comme peut-être l’un des futurs joueurs à 7 des Fidji. Lorsque l’on est passé à plaquer sur nos entraînements, on s’est en effet vite rendu compte qu’il était très difficile à attraper. On l’a ainsi lancé sur notre tournoi amical face aux Samoa et les 7 Fantastics début juin et il nous a montré toutes ses qualités, mais également ses lacunes. Il avait parfois tendance à s’isoler, jouer à l’instinct sans trop réfléchir, à nous coûter un peu cher en défense en oubliant de monter à certains moments. Malgré tout offensivement, il a traversé plusieurs fois le terrain et causé pas mal de problèmes aux défenses adverses, même contre les Samoa qui se mettaient parfois à deux pour l’arrêter. »

La révélation

Le monde amateur du rugby à 7 le découvre véritablement à Andorre. Rassemblés pour la première fois depuis plus d’un an, les adeptes de la discipline se sont retrouvés pour une étape du circuit européen et les meilleures associations étaient présentes. Pour les South Sevens et Mathieu, c’était l’occasion de lancer leur nouvelle pépite, tout en connaissant ses difficultés : “Lors du premier match contre les 7 Fantastics, il marque deux essais tout seul, il plaque, il gratte. Vraiment le match parfait. Ce tournoi lui a permis d’exploser, et même si on faisait un peu de communication dessus, personne ne le connaissait.  Si on ne l’avait pas eu, nous n’aurions pas fait d’aussi bons résultats. Il s’est donc fait remarquer, malgré toujours quelques petites erreurs, notamment des passes hasardeuses. Un peu classique chez les joueurs des îles, qui sont des joueurs d’instinct. On essayait de le cadrer puis de lui faire comprendre ses faiblesses pour qu’il les corrigent, mais c’était compliqué. On voyait qu’il écoutait et qu’il avait envie, mais il ne comprenait pas forcément tout. “

Malgré tout, ses performances font rapidement parler. Jérémy Aicardi, l’entraîneur de Monaco, composant son équipe pour les étapes estivales commence à s’y intéresser.  Il contacte alors Mathieu qui ne rechigne pas à ce que son protégé rejoigne la Principauté : “J’ai été contacté par Jérémy Aicardi après Andorre, car il avait vu les vidéos des matchs. Ce qui rend l’histoire encore plus belle, il a été repéré, car ça a parlé autour de lui après le tournoi, et des mecs qui ne l’avaient pas vu sur place s’y sont intéressés.  Quand Monaco m’a contacté, je savais très bien les moyens qu’il y avait là-bas et je ne voulais pas qu’il parte dans une structure qui allait le laisser à l’écart. De notre côté, on s’occupe beaucoup de lui. À Digne notamment, le club les a mis avec John dans un bel appartement en ville. Quelqu’un du club les emmène le week-end faire du vélo ou de la randonnée, sur les entraînements des jeunes le mercredi après-midi. Pour ma part, je le fais souvent venir chez moi, à la piscine, au restaurant, on lui offre nos dotations, la casquette,…Il ne parle ni anglais, ni français, il n’a pas le permis, il faut donc lui payer le déplacement, car il a un peu de mal avec tout ça, c’est nouveau pour lui. Avec Monaco j’étais rassuré. J’ai donc passé le contact du président de Digne, ils se sont mis d’accord et il a signé le contrat avec Monaco après le Med Sevens pour participer aux trois étapes.” L’histoire était lancée…

Saimone Qeleca, toujours équipé de la casquette des South Sevens.

La consécration

Sous contrat avec Monaco, le passage de relais s’est effectué entre Mathieu et Jérémy. L’ancien international l’a rapidement pris sous son aile pour le rassurer et le préparer dans les meilleurs conditions pour les tournois estivaux : “Je l’ai fait dormir chez moi le week-end. Il était très content, car je l’ai emmené travailler dans la campagne. Il me disait que c’était moins dur que d’être maçon ! Après pour la langue, on se débrouillait comme on le pouvait. Je suis parti un peu aux Fidji donc je ne savais que compter jusqu’à 10. Mais ça suffisait pour lui ! Par la suite, on voulait absolument un autre fidjien dans l’équipe pour l’aider à s’intégrer. Il restait donc un peu à l’écart au début, mais dès que Saki (Bureitakiyaca) est arrivé, ils étaient comme père et fils. Et même quand Saki est parti, cela s’est super bien passé !”

Testé dans un premier temps à Aix-en-Provence, où il a commencé à démontrer son potentiel, mais également ses lacunes, Saimone Qeleca a néanmoins marqué des points. Pour Jérémy Aicardi, il fallait juste recadrer quelques éléments pour permettre à l’athlète d’exploiter ses forces au maximum : “C’est quelqu’un qui a des qualités. Et puis quand tu as un Fidjien à l’aile, surtout maintenant qu’il est connu, tout le monde a un peu peur. C’est une véritable arme pour nous. On pourrait l’utiliser plus, mais par exemple à Aix-en-Provence on l’a utilisé trop vite et il nous a balancé 2-3 ballons un peu pourris. On lui a donc dit qu’il fallait qu’il trie ses offloads, et que s’il pouvait garder le ballon le plus de temps possible, qu’il le fasse ! Ne pas faire de passes impossibles, car les joueurs autour de lui ne sont pas habitués. On lui a demandé d’être le plus simple possible.” Résultat payant…4 essais, 479 mètres parcourus ballon en main, 12 plaquages cassés…Un véritable ovni sur la pelouse du Stade Ernest-Wallon. 

L’après-saison ?

Que va maintenant devenir Saimone Qeleca ? La semaine dernière, ses performances ne sont pas passées inaperçues et beaucoup de clubs ont commencé à échanger avec Frédéric Michalak pour en savoir plus sur le phénomène. Malgré tout, le club de Digne émet aujourd’hui des réserves comme le précise Mathieu : “Par expérience, Digne avait envoyé un Néo-Zélandais il y a quelques temps en Fédérale 1 (puisqu’ils sont aussi en partenariat avec une école à Hamilton pour faire venir des joueurs), mais ça s’était mal passé et il avait été un peu mis de côté . Alors que ce dernier parlait anglais et comprenait le rythme de vie ici. Le président de Digne a donc peur qu’il arrive la même chose à Saimone. Il aimerait le lâcher seulement à un club de Top 14 ou Pro D2. Même si cela reste compliqué de passer d’Honneur à ces divisions-là directement.” En attendant, Qeleca devrait poursuivre l’année prochaine du côté du RC Digne, puisque son patron lui a proposé un CDI en tant que maçon et que le président du club a prolongé son visa pour un an. “Ce qui nous arrangerait, car nous l’aurions encore pour le 7, ce qui ne sera pas le cas s’il signe plus haut ! “ poursuit Mathieu en rigolant. Du côté de Monaco, le facteur X est également verrouillé pour les prochaines étapes. Une belle histoire qui ne fait sûrement que commencer pour le Fidjien passé du chantier au trophée.