Quand on démarre un entretien avec l’entraîneur de France 7 féminin, même au téléphone avec 12 heures de décalage horaire, on ne sait jamais jusqu’où cela va nous mener car c’est toujours passionnant et passionné. Le début de saison, la préparation néo-zélandaise, les rotations dans le groupe ou encore la poule solide à Hamilton, David Courteix se confie avant cette tournée océanienne des World Series (crédit photo : Black Ferns / France Rugby).

La préparation avec les Black Ferns

« Après la coupure de Noël, l’idée était de se donner les moyens de jouer et de s’entraîner dans des conditions réelles. Et comme on a des bons rapports avec la Nouvelle-Zélande, on a partagé trois entraînements en commun avec les Black Ferns. Ça a été très constructif. Je l’espère pour elle et j’en suis certain pour nous avec l’occasion de percevoir plein de choses et de mieux comprendre les domaines dans lesquels il fallait qu’on se challenge. Pour celles qui ont le moins d’expérience, c’était l’opportunité de se confronter à certaines des meilleures joueuses du monde. La Nouvelle-Zélande et l’Australie sont aujourd’hui les deux nations dominantes. Elles font mieux et surtout beaucoup plus vite les choses. La première, c’est la capacité à faire des choix et à être pertinent individuellement. La deuxième, c’est d’être pertinent collectivement. Après, il y a la propreté technique à une vitesse d’exécution supérieure. C’est ça qui fait la différence. »

Plus que du rugby

« On ne vient pas en touriste, le rugby est notre priorité. Mais l’idée était aussi de se donner les moyens de rencontrer des gens, de découvrir d’autres cultures, de se questionner, de se stimuler intellectuellement et d’essayer de nourrir le projet comme les individus avec tout ça. Je suis contre la concurrence. Je la trouve totalement inapplicable dans un sport collectif où l’on porte le même maillot. En revanche, l’envie d’aller chercher toujours ses propres limites à l’entraînement et la limite de nos collègues de maillot, c’est aussi ce qui fait progresser.

Il ne faut pas rêver, la Nouvelle-Zélande a une densité de joueuses assez impressionnante. Quant à l’entraînement, tous les jours, les gens en face des autres se défient systématiquement dans un esprit de collectif, d’équipe, de camaraderie pour se tirer plus haut, ça c’est de l’émulation et elle est saine. C’est ça qui fait que les équipes gagnent. Quand on se met en difficulté et qu’on est dans le dur, si on est capable de le regarder en face, de l’identifier, de l’évaluer et de bien le paramétrer, là on se donne les moyens de s’améliorer. J’ai le sentiment que dans ce domaine, il y a de la prise de conscience et des progrès. C’est une semaine sur laquelle on a tiré le meilleur. »

Le début de saison

« C’est très positif. Je crois qu’il y a un niveau de performance sur lequel on arrive à se maintenir quelles que soient les joueuses présentes. On est capable de très bonnes choses et de se transcender par moments. Les Jeux sont dans 20 mois et à l’échelle d’une compétition de cette nature et de cette exigence, ce n’est pas beaucoup. On n’est pas en retard mais pas en avance non plus. Les filles ont notamment pointé du doigt la nécessité de faire plus vite et d’être plus propres techniquement dans certains domaines liés au contact, au déplacement du ballon, à la lutte pour la conquête ou reconquête de ce dernier…

Je crois que le fait de ne pas être les meilleurs doit nous frustrer tout en ne nous empêchant pas d’apprécier notre progression et les résultats que nous faisons. Il faut simplement que l’on trouve ensemble le chemin et surtout qu’on y prenne du plaisir. Je crois que c’est l’un des enjeux du haut niveau aujourd’hui. Mais quand ton envie, c’est de devenir la meilleure équipe du monde, il faut aussi que tu acceptes d’être heureux dans le niveau d’exigence que requiert l’endroit où tu veux aller et le degré de performance que tu souhaites atteindre. Aujourd’hui, je pense que les filles peuvent ambitionner à terme d’aller se battre réellement et très régulièrement avec les meilleures. Ce n’est pas cracher sur nos performances que de dire ça. Deuxième aux Jeux, c’est super. Troisième en Coupe du monde, c’est super. Par contre, on n’est pas premiers et je ne veux pas qu’on oublie ça. C’est juste être ambitieux. »

Les rotations dans le groupe

« L’objectif était d’ouvrir les portes du très haut niveau à l’ensemble du groupe en fonction des performances individuelles et de la construction de l’équipe. On voulait d’abord donner la conscience à tout le monde du fait qu’on avait un groupe très large avec des gens qui étaient déjà à des niveaux de performances très importants et qui pouvaient faire mieux. On a la chance d’être qualifiés et ça compte énormément donc on peut se permettre d’avoir des ambitions en mobilisant beaucoup de gens. On veut aussi penser au futur de l’équipe de France et à un moment, il faut investir sur les jeunes pour qu’ils se construisent cette précieuse expérience.

L’enjeu pour des entraîneurs, c’est de construire l’équipe qui sera susceptible d’être la plus performante sur le terrain et au quotidien. Il y a le contenu physique, technique, tactique ou mental mais aussi la vie de groupe, la confiance qui s’y construit, les interactions, l’empathie, l’attention qu’on porte aux autres tout en étant capable de se challenger… On passe 5 heures sur le terrain et avec une nuit de 9h, cela veut dire qu’on passe encore huit autres heures ensemble sur la journée. Je suis abasourdi par ce leitmotiv « le groupe vit bien ». Pour moi, c’est un groupe dans lequel les gens se tirent systématiquement vers le haut, sont exigeants les uns avec les autres, cela crée donc des tensions, des accrochages, de la confrontation, du débat. C’est ça un groupe qui vit bien. J’ai envie de dire que le groupe vit bien et je crois qu’il peut faire encore bien mieux dans le vivre ensemble. »

La poule à Hamilton

« C’est une grosse poule et tant mieux. Le Canada est en reconstruction mais c’est une équipe qui avance très vite avec quelques nouvelles joueuses et les retours de Charity William ou encore Bianca Farella. C’est un jeu qui propose souvent du physique, du costaud car elles ont tendance à t’obliger à venir combattre avec elles en 1 contre 1 pour mieux te prendre sur les extérieurs.

Le Japon, sur la note stratégique, tactique et la finesse du jeu, je trouve que c’est l’une des meilleures équipes du monde. Après, elles ont des qualités physiques qui, pour l’instant, ne leur permettent pas de s’imposer dans les contacts. Contre ces filles, il faut être super concentré, malin dans la stratégie et jouer aussi sur nos qualités physiques de vitesse ou de puissance.

Enfin, l’Australie, c’est une équipe contre laquelle on s’est construit avec le sentiment d’être vraiment dans quelque chose de difficile pour nous. Par sa profondeur, sa capacité à déplacer les ballons, par ses changements de rythme à distance, ce sont des choses dont on n’a pas l’habitude dans notre culture. Je crois qu’il faut vaincre tout ça et qu’on soit capable de s’opposer à leurs points forts. Je pense qu’offensivement, on a vraiment des armes pour les faire chier terriblement. Il faut s’appliquer sur nos lancements, dans les zones de contact, être capable d’attaquer des espaces avec beaucoup de vitesse, s’accrocher en défense, se responsabiliser dans les 1 contre 1, s’entraider. Être déterminées et justes. »

Les retours de plusieurs cadres

« Il a fallu faire des choix, il y a eu quelques blessures et des jeunes joueuses qu’on voulait voir. Il était indispensable que Séraphine Okemba et Joanna Grisez reviennent car ce sont des éléments très forts à ce niveau sur les World Series. Séraphine était blessée et Joanna sortait d’une très belle Coupe du monde avec le quinze. Elles sont l’une et l’autre, extrêmement perfectibles et extrêmement loin de ce qu’elles peuvent faire au mieux. Mais pour progresser, il faut qu’elles jouent. Il faut aussi montrer les signes d’intérêt qu’on a pour toutes les joueuses de la filière développement qui montrent des qualités pour le haut niveau.

Léa Trollier est dans cette démarche, c’est une jeune joueuse qu’on suit et qui a du potentiel comme Hada Traoré qui nous a rejoint sur un contrat de courte durée. Elle ne sera pas dans le groupe à Hamilton mais elle jouera à Sydney la semaine prochaine. De son côté, Montserrat Amédée revient peu à peu dans des performances qui sont intéressantes. Il y a aussi six joueuses qui s’entraînent à l’académie de Bayonne cette semaine avec Caroline Drouin, Chloé Jacquet, Jade Ulutule, Anne-Cécile Ciofani, Shannon Izar et Lina Guérin. Nassira Konde et Mathilde Coutouly se soignent et j’espère qu’elles seront opérationnelles rapidement. Cela nous fait un sacré groupe d’une vingtaine de joueuses. »

Camille Grassineau, l’impact player française

« Camille fait des performances énormes en World Series depuis des années et je m’étonne toujours qu’elle n’ait pas eu plus de reconnaissance de l’institution. En revanche, tout le monde l’a bien identifié comme quelqu’un d’assez extraordinaire dans son volume d’activité et son taux d’efficience. Camille est toujours en train de se demander comment être plus efficace et plus prolifique pour l’équipe. Sa constance dans la performance est hallucinante et relève de l’exceptionnel. Pour être honnête, il y a des fois où elle est étonnante d’exigence. Dans le registre de l’hyperactivité, de la dureté défensive, de la capacité à récupérer le ballon, à enchaîner les tâches, à créer des différences par des enclenchements violents, Camille fait partie des joueuses les plus décisives sur le haut-niveau. »