Une semaine après la finale du tournoi olympique à Tokyo, l’entraîneur de l’équipe de France féminine de rugby à sept, David Courteix, s’est confié sur ce cycle de cinq ans, aussi sportif qu’humain, achevé par la première médaille du Sevens français.
Soulagé
« J’avais une grande confiance dans ce groupe et dans ce que l’on avait fait avec le staff pour aider l’équipe à accéder à ce qu’elle souhaitait. Sauf qu’il y avait beaucoup de nations et d’athlètes qui avaient très bien bossé donc le premier sentiment que cela m’a donné, c’est le soulagement. Je tenais beaucoup à ce qu’il ait quelque chose au bout et que l’équipe ne reparte pas sans rien. Même si la joie est contenue chez moi, car je ne suis pas un grand démonstratif, je suis heureux que ce cycle olympique se termine par quelque chose de beau. »
Une montée en puissance maîtrisée
« Il y a toujours une part d’imprévu et on s’était préparé pour s’adapter à tous les évènements. Cela donne à la fin quelque chose d’assez conforme à ce que l’on espérait. Je pense que la stabilité permet de construire donc la sérénité que l’on a dégagé vient du fait qu’on se connaît depuis longtemps. Ce n’est pas étonnant de voir que les six équipes de France en sports collectifs, qui ont atteint le dernier carré olympique, ont des staffs installés depuis longtemps. Sur ce qu’il s’est passé ces dernières années, il y a donc une forme de « logique » même si cela tient à peu de chose sur ce tournoi. Quand on voit notre demie accrochée face à la Grande-Bretagne ou encore notre premier match face aux Fidji, tout aurait pu basculer dans un sens comme dans l’autre. Les filles ont fait preuve de beaucoup de maîtrise. »
Les satisfactions sportives
« L’idée était de créer les conditions optimales pour que chacun s’exprime pleinement et dans ce domaine-là, c’est une belle réussite. Tout le monde a tenu son rôle et a eu sa part de responsabilité dans la performance puis le résultat. L’équipe a été très conforme à elle-même et n’a pas joué au-dessus de son niveau, c’est un bon signe. Je retiens aussi la progression offensive et cette volonté de jouer avec le moins de points de fixation, de faire vivre le ballon dans les espaces. Défensivement, c’est notre marque de fabrique et cela reste une base forte où l’équipe se rassure. D’ailleurs, c’est un peu là que la finale se joue parce qu’on n’a été moins sûrs de nous en défense. On était aussi face à une équipe qui maîtrise à un point hallucinant les phases statiques. Il y a une forme de justice à ce que la Nouvelle-Zélande soit championne olympique même si j’aurais souhaité que ce soit la France. Fanny et ses coéquipières peuvent être fières de leur place sur la carte du haut-niveau mondial. »
Le sept, c’est aussi des rucks
« C’est drôle parce que dans l’imaginaire des gens, le sept est un rugby d’athlétisme. J’ai envie d’affirmer que c’est tout l’inverse et que les zones de contact sont absolument essentielles. Les phases de plaquage, de percussion, de un contre un, la capacité à dégager les bras, à maintenir une avancée, sont des moments clés du rugby à sept. Notre premier objectif en défense est de récupérer le ballon. Le deuxième est d’obliger les équipes adverses à passer par des rucks. Cela en dit long. Il y aura matière à regarder, à étudier et à réfléchir sur toutes ces phases où il y a eu des contacts lors de cette finale.
Une ambition assumée
« Je pense que l’on avait les moyens et l’ambition d’essayer de tout mettre en œuvre pour nous retrouver dans la situation d‘aller au bout. C’est ce qui a changé. Il y a une autre façon d’aborder cette humilité et de la joindre à l’ambition. Dans notre culture française, c’est quelque chose de compliqué à manœuvrer. On aime les perdants magnifiques, le panache, le beau jeu et on se raconte autour de ça. Mais quand je regarde le Handball masculin et féminin, ce sont des équipes qui défendent fort, qui contrent et qui sont solidaires. Ce sont des groupes au service des individualités, pas l’inverse. Au Basket et au Volley, c’est la même chose. Au rugby, il y a eu deux, trois coups d’éclats mais le reste c’est beaucoup de pragmatisme, de dureté et d’efficacité défensive. Je crois que les sports collectifs français commencent à assumer cet héritage et à pointer du doigt ses limites. C’est la même chose par rapport à l’humilité et l’ambition. Depuis quelques temps, l’équipe de France à sept féminine avait cette ambition de gagner mais c’était difficile pour elle de le dire. Aujourd’hui, je pense qu’elle peut se le permettre en restant humble et en respectant ses adversaires. »
Fanny
« Si le rugby à sept féminin était plus médiatisé, Fanny Horta serait l’équivalent en terme de notoriété des plus grands sportifs français. Dans sa longévité, dans ses performances, dans sa capacité à se remettre en cause et à évoluer notamment dans sa façon de jouer, c’est une immense joueuse de rugby qui a fait preuve d’une capacité d’adaptation hors du commun. Je retiens aussi la femme qui a su transmettre et beaucoup écouter. Le plus beau pour moi, c’est qu’elle a été d’une telle générosité qu’elle ne manquera pas. Elle a tout transmis, tout donné, elle a su déléguer pour qu’on ne se plaigne pas de son absence. L’équipe est prête à son départ et c’est ça le tour de force de Fanny : d’avoir été indispensable sans jamais avoir voulu l’être. Je crois que les filles l’ont bien compris et c’est leur talent à elles de s’être arrangées pour que l’aventure continue sans elle. C’est ça dont je suis admiratif. »
Connectées
« Il y a pourtant du caractère dans ce groupe, ça s’accroche, ça bataille, ça s’engueule, c’est vivant. Mais quand il s’agit d’unifier l’ensemble, chacun joue habilement de son égo. Ce n’est pas facile d’être 13, 14 ou 15, d’avoir moins de temps de jeu que les autres et de prendre sur soi pour que ça marche au bout. Je repense à la joie de Carla Neisen à l’issue de la demi-finale. Elle ne met pas les pieds sur le terrain, alors que c’est une joueuse d’exception, mais elle était heureuse comme les autres. Le rôle de Nassira Kondé n’était pas évident non plus et quand je vois son investissement de bout en bout, c’est le signe que le projet collectif est fort. Ce groupe a compris que l’une des clés de la réussite c’est de s’oublier un peu au nom de l’ambition collective. C’est ce qui me rend le plus heureux car ces choses, invisibles à l’œil nu, nourrissent la performance. Le rugby c’est simple mais la simplicité c’est dur. Faire très simple, très vite, très bien et tous ensemble, ce n’est pas évident. Je tire mon chapeau aux filles qui ont adhéré à ces concepts et se les sont appropriées pour bien vivre entre elles. »
Turnover gagnant
« Le grand point fort aussi de ce groupe, c’est d’avoir su faire un bel amalgame entre les bâtisseurs du départ et ceux qui ont rejoint cette équipe. Au début, on a pris des claques dans la gueule et on avait du mal à marier ce vécu avec de l’ambition. Ceux qui sont arrivés après, plus jeunes et plus insouciants, avaient envie de donner à ce groupe l’ambition à laquelle il pouvait prétendre : maintenant, il faut qu’on gagne, pourquoi on ne le dirait pas ? Les uns ont appris des autres. Dans son livre « Le règne des affranchis », Claude Onesta disait que c’était facile de s’aimer quand on gagnait. Le gros avantage de cette équipe, c’est qu’elle a été obligée de s’aimer avant de gagner. Quand tu as perdu et que tu as quand même appris à t’apprécier, c’est plutôt assez facile de se dire les choses et de continuer d’avancer dans la même voie quand tu te mets à gagner. »
Un coup de projecteur
« J’espère vraiment que cette médaille va apporter le petit bout de visibilité et de passion chez tout un tas de gens, qui connaissent le rugby ou non, pour le sept et que l’on va enfin prendre en compte la valeur ajoutée qu’il peut avoir pour la pratique du rugby en France comme dans le monde. Les Jeux Olympiques, pour moi, c’était le rêve absolu. C’est ce qui m’a donné le goût du sport et de le pratiquer. Je pense que c’est l’un des rôles des équipes de France et j’espère qu’il y aura cet effet. J’espère aussi que la Fédération, même si elle fait des efforts dans ce domaine-là, arrivera à faire une place un peu différente au sept dans les calendriers, sur le plan médiatique, dans la formation du joueur. C’est tout un tas de chantiers qui sont lancés et j’espère que cette médaille va les booster. »
Deux disciplines à un tournant
« Le sept et le quinze peuvent cohabiter sans problème, c’est ma conviction. On le voit déjà sur les filles et on pourrait le voir sur les garçons. Je pense même que c’est vital pour le quinze. Que deviendrons-nous si à part l’Angleterre, la France, la Nouvelle-Zélande et peut-être les États-Unis, personne ne peut gagner la Coupe du monde ? Si ces équipes mettent 60 points à tout le monde et que les matchs en deviennent quasiment dangereux ? Ce sera pareil chez les garçons. Pour se développer dans le monde entier et garantir l’universalité du rugby, pour moi, il faut utiliser la force du sept. C’est plus accessible, il y a moins de gens sur le terrain et des règles moins complexes. Cela fabriquera de beaux et belles athlètes, de très bons rugbymen et rugbywomen, partout dans le monde. C’est le marchepied idéal avec l’Olympisme. Je crois qu’il faut capitaliser sur la réussite de ces deux tournois olympiques tout en préservant les richesses du sept. »
Et après ?
« Avant le début des World Series en décembre, les filles sont invitées à un Fast Four à Edmonton et Vancouver, en marge des tournois masculins, avec le Canada, les États-Unis et peut-être la Grande-Bretagne. Toutes les filles qui ont largement participé à cette quête de médaille sans avoir été sur le terrain à Tokyo vont y arriver avec un appétit terrible. Aujourd’hui, il faut profiter de l’argent et dans quelques mois, il faudra capitaliser sur la frustration de ne pas avoir eu l’or. Cela va faire une belle ébullition, un bon potage, qui devrait pousser l’équipe à se poser de nouvelles questions et se fabriquer d’autres ambitions pour l’avenir. »