Il y a un mois, Teiva Jacquelain disputait la troisième et dernière étape estivale de l’In Extenso Supersevens avec Toulon. Une renaissance sur les terrains qu’il attendait depuis plusieurs années et qu’il est allé chercher jusqu’au bout du monde (Crédits photos : Antoine Saillant / Teiva Jacquelain / RC Vannes).
Lorsque nous l’avions retrouvé au stade Pater à l’occasion du Papeete International Sevens en octobre 2024, c’était le doute qui animait Teiva Jacquelain. L’ancien ailier de France 7, passé par Grenoble, Mont-de-Marsan et Bayonne, était toujours embêté par son genou blessé à la fin de son aventure basque et ne voyait pas le bout du tunnel. « Le feu est toujours là » nous avait-il pourtant déclaré à l’époque sans éluder les galères qu’il rencontrait pour retrouver son niveau. En août, nos chemins se sont recroisés en métropole lors des trois étapes estivales de l’In Extenso Supersevens qu’il a disputé avec Toulon. Un peu moins d’un an après, de son accent polynésien si chaleureux, il nous a raconté « l’histoire folle » de cette renaissance en rouge et noir.
Novembre 2024 : La recette fidjienne
« Quelques semaines après le Papeete Sevens, Franck Boivert, qui entraîne aux Fidji depuis plusieurs années, est venu à Tahiti avec deux joueurs fidjiens pour un échange d’expérience. L’un des joueurs m’a dit que je devais venir chez eux pour essayer leur médecine traditionnelle. J’en avais déjà entendu parler par l’histoire de l’ancien All Blacks, Waisake Naholo, qui s’était blessé au tibia quelques semaines avant la Coupe du monde 2015 mais après l’application d’une plante fidjienne (ndlr : le kawakawarau), il avait finalement pu participer au mondial. J’ai donc décidé de prendre mon billet et j’ai été très bien accueilli par la famille de ce joueur fidjien qui étaient venus à Tahiti. J’ai vécu avec eux dans la région de Sigatoka. C’est toujours un mystère, cette joie de vivre qu’ils ont sur le terrain mais le secret, c’est qu’ils sont très solidaires, très famille et très croyants. C’est un pays très pauvre donc il y a beaucoup d’entraide ».




« Au village, j’ai effectué leur médecine traditionnelle à deux ou trois reprises. J’ai ensuite été à l’église et ils ont tous prié pour moi. À la fin, le Pasteur et sa femme m’ont dit qu’ils ont senti que je serai guéri et que j’allais pouvoir rejouer. Ça m’a nourri car j’étais vraiment désespéré depuis deux ans, je tournais en rond et je ne savais vraiment plus quoi faire. J’avais beaucoup de rancoeur et de colère suite à la fin de mon aventure professionnelle à Bayonne. Je ne comprenais pas pourquoi ça s’était terminé de cette manière. Mais là, ça m’a remis les pieds sur terre de voir tout ce qu’ils endurent. Quand ils se donnent autant sur le terrain pour réussir au rugby, c’est parce qu’ils savent d’où ils viennent et qu’ils doivent le faire pour leur famille. Avec du recul, ce voyage m’a permis de retrouver la foi. Je suis parti des Fidji regonflé par tout ce qu’ils ont pu me donner alors qu’ils n’ont rien. Et maintenant, je vois la vie différemment, ça m’a complètement changé ».
Février 2025 : La parenthèse bretonne
« Comme on dit quand il n’y a plus le ballon, il reste les copains. Sacha Valleau (ndlr : ancien coéquipier avec France 7) m’a ainsi donné l’opportunité de participer à la finale de l’In Extenso Supersevens avec Vannes et j’ai accepté ! Je pensais à ce moment-là que tout allait bien et que j’étais guéri. Mais en faisant une IRM après le tournoi, je me suis rendu compte que j’avais un cyclope (ndlr : une boule de fibres dans le genou). Les spécialistes m’ont demandé comment j’avais fait pour jouer car je ne pouvais être qu’à 50% de mes capacités. Normalement, tu ne peux pas sprinter, ni faire des appuis car c’est douloureux. Ce qui ne m’a pas surpris car j’avais dû serrer les dents pendant la compétition. Je me suis donc fait de nouveau opérer à Bordeaux et je suis allé au CERS de Capbreton deux fois pour ma rééducation et pour me remettre sur pied. »

Août 2025 : Le retour à Toulon
« À la sortie de ma rééducation, mon ancien coach, Olivier Beaudon (ndlr : référent Sevens au RCT), m’a donné l’opportunité d’évoluer avec Toulon cet été sur l’In Extenso Supersevens. J’ai commencé là-bas, j’ai vu mon premier match de rugby à Mayol quand j’étais petit, j’écoutais des matchs de Toulon à la radio donc j’avais tout un imaginaire dans ma tête. Puis est venue la semaine du tournoi de Mont-de-Marsan. On devait partir le vendredi et le jeudi, il y a un Fidjien qui a débarqué à l’entraînement pour compléter le groupe. Il se trouve que c’était Ian Ratu, le fils du pasteur qui avait prié pour moi. Je lui ai parlé de mon histoire, il la connaissait par sa famille et j’avais les larmes aux yeux de me retrouver face à lui. Après tous ces moments où je me suis senti seul et où j’ai beaucoup pleuré, là c’était comme si le Seigneur m’avait montré qu’il était là pour moi. Faire ma reprise avec le fils du pasteur qui a prié pour moi à l’autre bout de la terre et sur le terrain de Mont-de-Marsan que je connais bien (ndlr : il y a joué deux saisons), ça a été très émouvant pour moi.
Il y a un mélange de frustration par rapport à ce que je sais faire et ce que je peux faire actuellement, car je ne suis pas encore à 100% de mes capacités, même si je progresse de semaine en semaine. Mais je reste positif car je reviens de loin. Je n’ai pas grillé les étapes et j’ai franchi les différents paliers progressivement. Je suis donc très content de ce qui a été fait avec le groupe et sur le plan personnel. L’objectif collectif était de créer un groupe sur ces trois tournois et de se qualifier pour Paris, ce qui est fait. Il reste beaucoup de choses à travailler mais ce que l’on a montré est très prometteur pour la suite. C’était très particulier de rejouer sous ce maillot et j’espère que ce ne sera pas la dernière fois. »

La suite ?
« J’espère que cette participation aux trois étapes va m’ouvrir des portes à nouveau. En ce moment, je travaille beaucoup avec mon préparateur physique Faïssal El Amraoui (Ndlr : il s’est occupé du Champion olympique, Rayan Rebbadj et du boxeur médaillé olympique, Sofiane Oumiha) afin de réintégrer un club professionnel. Étant dans la région varoise, je me suis rapproché aussi de quelques clubs pour continuer de toucher du ballon. Si ça doit s’arrêter, cela s’arrêtera mais je veux me donner les moyens d’atteindre mon objectif. Quand je serai vieux sur ma chaise à Moorea avec les enfants qui jouent dans le jardin, je veux être heureux et ne pas regretter de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour y arriver. Je sais que je ne suis pas fini et que j’ai encore beaucoup à donner, j’ai juste besoin qu’on me donne l’opportunité. »